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RECONDITE - Hinterland [Ghostly International] - 2013

 

Durant l’année 2013, on aura entendu parlé de Recondite et surtout du label Dystopian. Forgée par leur réputation d’un voyage à travers les sentiers d’une dub techno mentale et profonde, dans les méandres d’un entrepôt abandonné, le label mené par Rødhad a su se frayer un chemin dans la techno berlinoise, et pas n’importe lequel. Tous les clubs se les arrachent, du Robert-Johnson au Trouw, du Output à la Concrete, les dystopian label nights font du bruit à chaque endroit où ils passent. Et il y a de quoi.

 

Après la sortie EC10 en février, Shift 003 en Mai, Waldluft en Juillet, Lorenz Brunner aka Recondite ne s’arrête plus et sort Hinterland, en novembre, et ce n’est pas pour rien. Il offre un voyage spirituel au travers des forêts automnales de son arrière-pays bavarois. Une balade mélancolique de l’esprit, où la construction architecturale de chaque mélodie est composée comme une description analytique du paysage. Recondite réussit à nous plonger dans un sentiment intemporel, seul face à la nature, libre sans retenue, provoquant une illusion de confiance en soi, dans un monde de divagations où tout nous appartient.

 

Hinterland se place dans un univers deep et nuancé, mais aussi isolé et intime, sentant les basses se crispaient au rythme d’une marche dans un silence étrange. Alors que les percussions de « stems » résonnent comme un battement de pas dans une bise sombre et glacée, le balayage de fréquence de « clouded » rappelent des sonorités entendues chez Dettmann ou Function. Dans sa globalité, la sortie de l’album est un mariage parfait, d’une profondeur émotionnelle. Recondite laisse le doute flottait sur la nature même du paysage, entre le sillonnement triste des vallées et le parcours colèreux des montagnes. Mais on le connaît capable d’être présent sur les deux tableaux, notamment en dj set, lorsqu’il nous offre  cette « brutalité », d’un univers industriel et abrasif. Hinterland intégre et dissimule une relation très subtile entre la nature humaine et la nature, à la fois intime et distant, calm et effrayant, et nous dévoile un autre aspect d’un des artistes envoutant de la scène berlinoise actuelle.

 

PETER VAN HOESEN - Life performance [Tresor] - 2013

 

Natif de Belgique et vivant à Berlin, le vétéran de la techno Peter Van Hoesen a senti besoin de retourner aux racines de la musique électronique en enregistrant cet album live. Lors d’une soirée au Tresor en juillet dernier pour une Time to express night, son label belge, Peter Van Hoesen a lâché le PC et laissé parler les machines afin de sculpter un bloc de soixante minutes de lourde techno peaufinant paramètre par paramètre d’une texture aux subtils changements. Beaucoup critiqué par la presse musicale, notamment par Resident advisor décrivant l’album comme une bonne performance pour un live à quatre heures du matin dans un hangar, mais dès lors, l’album n’est pas aussi solide qu’il en a l’air.

 

Quoi qu’il en soit, Peter Van Hoesen conçoit son album comme une bande passante, qu’on prend du début ou en vol, et qu’on ne lâche plus. L’introduction nous laisse directement rentré dans son antre, avec un écho subtil et surnaturel rebondissant sur les parois d’une caverne fuligineuse. Dès les premières notes, une onde s’ébranle, suffisamment mélodique pour ne pas devenir abstrait. Il s’impose alors une vibration qui vit, se meut et respire. Qui transperce notre corps inhérent et prend le contrôle de notre âme. Les détails sont d'une précision éblouissante, et ne deviennent jamais trop orchestrés.

 

S’ensuit une progression jusqu’à la dixième minute, où la tension monte, la friction émane et l’aura se disperse.  La distance du réel se détache, Peter Van Hoesen est bien ancré dans son set, commençant à prendre des risques, tentant du neuf. L’attaque de flash sur « Challenger », comme une armée prêt au combat, crispant le rythme cardiaque jusqu’à l’entrainer dans une pulsation chimérique et inexistante,  donne naissance au passage des synthés tordus et tourmentés « d’Azur », puis de « Deceive, Perform », laissant quelques secondes d’inhalation avant la reprise articulée de la deuxième partie du set. Au bout de la cinquantième minute, Peter Van Hoesen décide qu’il nous a suffisamment désorientés et enchaîne avec une apogée de tonalités, une explosion massive de variations, clôturant avec « Arrival », le bouquet final du set, une fin tentaculaire, céleste et séraphique.

 

Peter Van Hoesen nous livre avec Life Performance un opus à la stabilité gyroscopique, tant dans l’enchaînement que la technique, avec la qualité sonore d'un studio d'enregistrement, mais l'énergie et les mutations brusques et congrus d'un set live. 

 

CONFORCE - Kinetic image [Delsin Records] - 2013

 

Au cours des dernières années, Boris Bunnik s'est imposé comme l'un des producteurs les plus prolifiques dans de nombreux domaines sonores, en passant par des explorations deep ou par de la techno brute et robuste, basculant tant vers l’analogique que le numérique. Musicien néerlandais aux facettes, complexes et aux alias multiples (Conforce, Versalife, Hexagon, K2vx, Mi-24, Silent Harbour, Vernon Felicity), Boris Bunnik revient cette fois-ci en tant que Conforce avec un troisième album, Kinetic image.

 

Conforce nous entraine dans un tunnel sous-marin et nous offre un album conçu à être écouté d’une seule traite, vécu tel une expérience du non-dancefloor, se concentrant sur un registre qui s’éloigne du tempo 4/4 monolithique tendant vers des tempos plus lents et plus furtifs. Conforce décrit cet album comme un son de lui-même s’éloignant du passé vers le présent. L’histoire est là, on passe d’un univers à un autre, comme une progression atmosphérique entre mondes parallèles,  un voyage sonore passant du mélancolique au satanique, du claustrophobique à la rêverie. Une lumière minimale joue avec les ombres portées des piliers sombres d’un souterrain, avant d’atteindre une caverne ruisselante aux murs bruts et scintillants sur lesquels danse un néon grésillant.

 

Un album aux inspirations très philosophiques et métaphysiques (anti-adaptive state, abundance of selves, semantic field….), entrainant tant à la réflexion qu’au questionnement, à la libération et à l’évolution de l’esprit. Conforce arrive à un résultat très hétérogène, serrant et relâchant les rythmes, passant par des gammes de fréquence denses et d’autres espacés. Kinetic image reflète le talent de Boris Bennick, tant dans sa connaissance magistrale de son propre son que dans les techniques utilisées, jusqu’à être absorber par le sérieux  et le maintien de son aura caverneuse. Un nombre assez impressionnant et surprenant de détails est dessiné dans chacun de ces morceaux, aux sons intrigants et inspirants telle une excursion cérébrale. « Spatiotemporel »  est perçue telle des faisceaux de lumières célestes aux sons très méticuleux, flottant dans un miroitement futuriste, « Semantic field » nous propulse dans un état second au milieu d’un entrepôt désert en décomposition vivace, « Abundance of selves » est une rêverie sous-marine tangente de la réalité et « Optimum pace » envahit l’espace d’un froid mécanique aux échos mystérieux et mélodiques.

 

Conforce connaît le secret de la cité perdue et nous la livre un album aux profondeurs qui sont à la fois intrigant et subtil.

 

Ø [PHASE] - Frames of references [Token] - 2013

 

Il n’est pas rare dans le monde de la musique d’observer une inadéquation entre la musique techno et les LP dû au fait de l’accessibilité de l’EP et la spontanéité du live, qui permettent aux djs de garder une forme de liberté et d’instinctivité. Ce n’est pas le cas d’Ashley Burchett aka Ø[PHASE], qui après 13 ans de productivité s’est enfin décidé à sortir un album. Et cette attente aura porté ses fruits. Véritable bombe à retardement sorti sur le label belge Token, devenu en quelques années LE label incontournable de la scène techno, Frames of references est un voyage abyssal dans les excavations de la techno pure.

 

Dès le premier morceau, Ø[PHASE] nous ouvre la porte d’un sas de décompression, avec une seule idée en tête : « oubliez vos repères, votre environnement et laissez-vous porter ». Une transition bien réfléchie, non innocente, en vue d’une stimulation physique et d’une divagation psychique. On est maintenu en suspens, dans les airs, prêt au voyage. Alors que les décharges de « On the edge » résonnent comme une galvanisation des neurones, les riffs perçants de « Perplexed » vibrent au rythme d’une pulsation en éclats de distorsion, animé par des craquements orgasmiques et planants. L’espace « autre » est franchi ; Place à la danse des murènes. Les sons stridents et électriques de « Misaligned » compriment le cœur et maintiennent en suspens les battements, provoquant une délectation auditive. Tout est éthéré, palpable de la pensée. Les mouvements du corps ne sont plus planifiés, l’esprit est amorphe, et laisse place à une euphorie non contrôlée.

 

On sent la progression hyperbolique tout au long de l’album, où le seuil est effleuré, maintenu mais jamais franchi, où les limites sont poussées au-delà des possibilités, à l’extrême, prêt à exploser. Chaque note est calculée, il n’y a pas de hasard, tout est pensé, réfléchi. L’enchaînement des pistes s’emboitent sans accroc. On atteint le paroxysme sur « Shadow caster », l’intensité est suspendu, comme une brûlure lente et tortueuse. Un univers mystérieux, sauvage, mais rassurant. Une polarité entre humains et machines, immersion et subversion, mélodie et abstraction, marche rythmée et équilibre serein. Ø[PHASE]nous offre un album accessible, mais subtile, un panorama aux sonorités variées, oscillant d’une dub techno à une techno obscure, garantissant la pérennité de son œuvre. 

 

AUDION - Audion X [Spectral Sound] - 2013

 

Après plus de 4 ans de silence, Audion revient, et tape un grand coup avec une rétrospective de ses 10 ans, plutôt généreuse de plus de 2h. Menant une double vie, de New York au Texas en passant par Detroit, Matthew Dear, mi-ange sous son nom, mi-démon sous Audion,  s’était un peu fait oublier de la scène techno pour laisser place à une pop électronique de « crooner innovateur».

 

Ayant frappé fort dans le paysage techno en 2004 et 2005 avec « Just Fucking, Kisses » et « The pong », mais surtout avec le fameux « Mouth to Moutth », Audion célèbre son retour et nous offre une compilation de 18 chansons retraçant la dernière décennie de sa carrière, sorti sur le célèbre label Spectral Sound. Audion attaque avec 2 nouvelles chansons : « Motormouth » et « Sky », qui nous laisse prédire un prochain album et une tournée surement prévu pour 2014. Pas d’introduction, ni de mise en bouche, on rentre directement dans le vif du sujet, l’image du musicien électro-pop s’efface rapidement pour laisser place au dj de « dirty techno ». Une chute interminable nous propulsant  dans un monde électrique et vicieux à l’appel du ciborg qui est en nous.

 

Balayant d’une musique minimaliste tachetée de grime à une funk musclée mais aussi à une techno hypnotique et implacable, c’est avec « Mouth to mouth » qu’Audion nous attrape littéralement les yeux et les oreilles avec une montée en orgasme de 13min, telle une nuée d’abeilles nous électrisant chaque partie de notre corps. Chaque sens est pulvérisé, on sent les odeurs acides venir nous picoter le nez jusqu’à foudroyer le cerveau d’une techno extatique et hypnotique, et nous laisse pénétrer dans les profondeurs de grooves intenses et sombres.

 

Chaque morceau est un nouveau décor, confronté tant au paradoxe, qu’à l’absurde ou le bizarre. « I am in the car » nous balade dans une errance enivrante où chaque onde vient résonner et effleurer les synapses, « Billy says go » esquisse une métamorphose physique exorcisant les démons du dancefloor à une implosion jouissive, alors que « Noiser » nous happe dans un monde surréaliste aux coups percutants et séquencés, où la logique a été abandonnée au profit de la folie.

 

Vivement 2014 pour voir ce qu’Audion nous réserve comme surprises…

 

LEWIS FAUTZI - The gare album [Soma Records] - 2014

 

Du haut de ses 22ans, Lewis Fautzi fait son entrée majestueuse dans la célèbre écurie Soma records et sort son premier album, rendant hommage à The gare Club, célèbre club de Porto où Lewis a découvert la techno. Boulimique du travail, Lewis passe la plupart de son temps dans son studio, où sa créativité ne cesse de s’accroitre et les titres de se composer. Il commença à mixer et produire très tôt, et a déjà sorti des titres sur Soma records, Soniculture, Resopal Schallware, Labrynth, Slap Jaxx, Spark Musik ou sur son propre label Faut section.

 

The gare album se situe dans une étreinte inqualifiable de la techno, entre cliquetis sourds et murmure mélodique, et séquence sous une forme très habile la conception et l’enchainement des titres de l’album. Fautzi taille de manière précise la techno traditionnelle l’alimentant d’une ténacité proche du Tresor, et en parallèle démontrant une sensibilité sophistiquée dans l’articulation, l’ajout et le retrait des éléments. Il structure notamment son album sous la modèle intro (« Signal »)-interlude (« Opaque »)-outro (« Other planet »), afin de briser le flux de techno et jouer avec les variations. Dès les premières notes, l’ambiance d’un bourdonnement industriel est immédiate, un crépitement de textures est dessiné pendant deux minutes avant de laisser place au caverneux UVB-76, un déchainement de grosses caisses en plein essor, et donnant le ton de l’album. Ralentissant le rythme pour nous offrir une méditation de beat déconstruits, « The Other Side of Reality » offre un moment pour réfléchir avant le départ à l’assaut.  Un enchainement martelé se poursuit avec « Sick », « Range » et « Loudness », où l’intensité ne cesse de faiblir, et la fureur de fléchir. Les synthés chaotiques construisent lentement la tension d’une frénésie intrigante.

 

Un intermède d’une minute nous est offert marquant un point d’arrêt au milieu de l’album, une minute d’espoir, de répit, avant la reprise de la tourmente. Le plan de Fautzi est clair : séquencer l'album afin que l'auditeur soit en mesure de reprendre son souffle et puisse digérer chaque titre tel un parcours jonglant entre sas de décompression et immersion expérimentale. De retour dans l’obscurité, « Binary » (qui fut notamment remixé par Oscar Mulero), est manié comme des synthés élastiques, déchirant l’épine dorsale, ôtant tout superflu jusqu’à être nu et embrasser d’une froideur extrême, ivre et étreint d’une essence saisissante. Une maturité définie dans la production et une genèse froide calculatrice brille sur cet album.

                                                       

Le résultat de cette constante évolution et recherche de sons uniques a donné naissance à Nuklear Default, son alter-égo, dans lequel il livrera en 2014 un live hypnotique nous transportant dans une nouvelle expérience électronique… qu’on espère voir sous peu en France. 

 

 

MARCEL DETTMANN/ VARIOUS - Fabric 77 [Fabric] - 2014

 

Il n'est guère surprenant qu'il y ait eu un cri de jubilation sur la toile lors de l’annonce de la future compilation Fabric avec aux commandes Marcel Dettmann. S’il y a bien un nom de la techno dont il n’est pas nécessaire de présenter, c’est bien lui, Marcel Dettmann, DJ, producteur, Resident du Berghain et fondateur du label MDR. Avec ses compétences techniques et sa signature sonore électrisante aiguisée à la perfection, il nous délivre une compilation pour les fameuse compilations Fabric d’une variété sonore et d’une nuance émotionnelle réfléchie et aboutie, avec un avant-goût des prochaines sorties sur son label MDR tel que celles de Norman Nodge, Answer Code Request, Ryan James Ford, RSPCT, François X, et Marcellus.

 

Dettmann met l'accent sur un plan horizontal. L’idée n’est pas d’atteindre le sommet d’un pic et d’y redescendre, mais plutôt de dérouler éternellement une ligne droite le long d’un paysage vallonné, donnant le un sentiment de stagnation en mouvement. Chaque piste apporte un élan vers le haut ou vers le bas, jouant entre les nuances de quelques crans, de manière à maintenir une concordance régulière et continue. Néanmois, Dettmann évite l'évidence, avec une série de rebondissements improbables. Il ouvre le mix avec un morceau de Ryan James Ford, « Arthure Iccon », mélange subtil et progressif d’un grondement atmosphérique en tension, et poursuit avec surprise avec « sun position » de The Persuader (aka Jasper Dahlback), danse funky-tech d’une batterie aux sonorités dub, et nous plonge ensuite dans un territoire totalement différent avec « Inside of me », sombre excursion dans les souterrains EBM de Terrence Fixmer, aux voies sinistres et lugubres chuchotant « don’t you feel the fear ». S’ensuit une édifiante vague vampirique et euphorique de synthés avec « Transit 0.2 » d’Answer Code Request et laisse place aux accords d’une dub progressive de tambours et timbales avec « Nearlin » de Dario Zenker. Pour chaque piste sombre ou mélancolique, Dettmann nous offre ensuite une touche de luminosité. On atteint le cœur du mix avec « RSPCT » de Rod, un riff hérissé d’une pulsation lourde et douloureuse avant de nous calmer avec les rythmes Carabiques de « Country Boy Goes Dub » remixé par Dettmann lui-même. A noter la présence sur le mix d’une piste de François X, qui sortira bientôt sur le label de Dettmann, MDR. Dettmann clos cette épopée musicale avec « Torus XXXII » de Vril, balade de boom techno dub aux reflets sombres de rave et clos la boucle du cercle entièrement, explorant piste après piste l'ensemble du spectre de la techno tout en conservant un son distinctif propre à lui.

 

Contrairement à certaines éditions précédentes de la série emblématique Fabric, Dettmann fait un travail fantastique à rester fluide et, en gardant son engagement du début à la fin d’un mix au mélange envoûtant d'agitation, d'émotion, de profondeur avec une énergie souvent implacable. C’est ici qu’il nous nous rappelle poliment que la techno, dans toute sa férocité, peut être pleine de vie et surtout aux facettes multiples. La compilation présente une vitrine de nouveaux talents, mais surtout la plupart des pistes sont inédites et vont prochainement sortir sur son label MDR, ce qui nous laisse entrevoir une partie de l'avenir de son label et du futur de la techno. 

 

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